Nos services publics, un projet politique à défendre !

 

                        La crise de la sécurité sociale révèle-t-elle une crise de la démocratie ?

 

Cette conférence débat a réuni à la BLCO le mardi 12 janvier 2016 plus de  soixante dix personnes autour de Colette BEC, sociologue, professeur des universités.

 

Le président de l’association EXPRESSIONS souligne en introduction le besoin de débattre pour comprendre l’histoire de nos institutions. Et la question de ce jour : a-t-on oublié le sens politique de la sécurité sociale ?

 

Colette BEC de façon très claire, resitue l’histoire de la sécurité sociale, ses fondements et termine son exposé en exprimant ses préoccupations.

 

En démocratie, il y a des biens fondamentaux : la santé, l’instruction… : la protection de ces biens est la condition de la liberté individuelle. Le projet politique d’une organisation solidaire des services publics a, peu à peu, été submergé par des constructions technico-économiques qui ont fini par enterrer le projet initial. Comment participer à l’adaptation de ces principes à la société actuelle ?

 

A la fin du  XIX° siècle, sous la III° République, la conscience émerge qu’il n’y a pas de liberté sans sécurité, ni d’égalité sans solidarité. (cf premier article de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit »)

 

C’est le début de la conception politique de la protection  individuelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas séparée du projet collectif. Il y a une interdépendance de fait des individus, et la solidarité va permettre une organisation institutionnelle.

 

De là les lois scolaires de Jules Ferry, pour l’instruction de tous.

 

Et sont mises en place des politiques sociales pour produire de la liberté et de l’égalité. Ce sont les lois d’assistance (en 1893 : Assistance médicale gratuite, qui sera remplacée par la CMU en 1999 ; en 1904 : Service des enfants assistés ; en 1905 : Assistance aux vieillards infirmes et incurables ) qui font rentrer dans le droit français la notion d’obligation pour l’Etat, puis les lois d’assurance sociale en 1910 et 1930.

 

1945 : la Libération

 

Il y a consensus entre les quatre familles politiques du moment pour construire et organiser la société pour qu’elle soit juste et solidaire, pour que les valeurs de 1789 énoncées soient respectées.

 

La sécurité sociale a été pensée comme consubstantielle à la démocratie : protéger l’ensemble de la société et non plus seulement les catégories les plus vulnérables.

 

La sécurité sociale a transformé la société française et a fait chuter le sentiment d’insécurité. Il y a eu un redressement spectaculaire de la démographie, l’espérance de vie est passée de 45 ans à la fin du XIX°s à 70 ans en 1960, la mortalité infantile qui était de 108 pour 1000 en 1945 est tombée à 37 pour 1000 en 1954.

 

La sécurité sociale a permis le progrès économique et social : les « Trente Glorieuses » n’auraient pas été possibles sans la sécurité sociale.

 

Mais deux conceptions vont s’affronter :

 

La première, issue du programme du Conseil de la Résistance, où il s’agit d’un plan pour tous les citoyens, la deuxième, dont l’objectif est de garantir les «  travailleurs » et leurs familles.

 

Dès l’origine, le patronat a renâclé à entrer dans une logique de solidarité nationale.

 

La première conception s’est heurtée aux corporatismes (nombreux étaient ceux qui entendaient se protéger eux-mêmes par l’assurance mutuelle de leurs propres membres : cf la prolifération des « régimes spéciaux »). Le pouvoir politique n’a jamais fait un choix clair face à cette ambiguité initiale, et l’on verra s’étendre le bénéfice de la protection avec des techniques diverses, sans débat politique.

 

A partir des années 1960

 

L’augmentation du chômage,  le début du déficit budgétaire, le retour à l’idéologie libérale… 

 

En 1967, c’est la réforme qui assure la séparation financière des risques dans trois « branches » distinctes : santé, vieillesse, famille. A partir de là, on ne va plus débattre de la place de la sécurité sociale dans la société, mais de l’économie : on met donc en place des politiques restrictives….qui n’ont jamais résolu le problème du déficit. Il y a là un véritable processus de dépolitisation, et la finalité de la sécurité sociale n’est plus posée.

 

Pour Colette BEC il y a deux préoccupations majeures :

 

1-Le risque de dualisation source de nouvelles inégalités  (en 1980, 80% des soins courants bénéficiaient d’un remboursement, en 2015, c’est 50%)

 

Le problème des complémentaires : « quand arrivent les complémentaires, arrivent les inégalités »

 

2- Ce bien fondamental qu’est la santé est ramené à un marché.

 

La conception du droit à la protection est en train de changer. Cela devient un droit purement individuel. L’appartenance collective est ignorée, la solidarité rompue.

 

Pierre LAROQUE disait : « l’éducation à la solidarité est la condition pour la sécurité sociale »

 

(puisque  la sécurité sociale était pour lui  la manifestation d’une solidarité nationale)

 

Le débat qui a suivi cet exposé très intéressant a permis d’insister sur différents points et d’apporter des précisions :

 

La sécurité sociale est une institution de notre démocratie.

 

Dans une démocratie, c’est le politique qui doit avoir le pouvoir. Il faut reposer la question : Qu’est-ce que ce pourrait être  « être protégé »  dans le contexte d’aujourd’hui ?

 

                  -Le progrès n’est-il pas une question de confiance, la solidarité étant le moyen ?

 

La solidarité est la compréhension du fonctionnement de la société : être citoyen nécessite de comprendre comment ça fonctionne, l’ignorance est la pire des choses.

 

                  -Y aurait-il déficit si l’on versait les mutuelles à la sécurité sociale ?

 

Non. Les mutuelles sont très très riches.

 

                  -Quels acteurs privilégier pour l’éducation à la solidarité ?

 

L’Education Nationale a été associée aux 70 ans de la Sécurité Sociale (exemple de très belles actions menées avec des lycéens)

 

Les partis, les syndicats…

 

                  -Le vieillissement coûte de plus en plus : comment va-t-on faire ?

 

On connait cette évolution démographique depuis 1970. Pour adapter la sécurité sociale à l’évolution, il faut analyser, faire un diagnostic, et débattre, et arriver à un compromis. Or ce sont les technocrates qui débattent….

 

                  -Rappel que le coût de gestion de la sécurité sociale est très bas (3%), celui des mutuelles, bien plus élevé.

 

                  -Les complémentaires obligatoires sont une dérive de la prise en charge des soins médicaux vers le privé. Mais cette réforme permet peut-être à la sécurité sociale de se concentrer sur les plus précaires.

 

                                    -Depuis 1950 le patronat demande de ne plus cotiser à la branche famille…

 

 -Il faut un droit commun car la rupture est évidente.

 

Belle soirée stimulante pour les citoyens et militants, pour susciter et partager le débat politique concernant un  pilier de notre démocratie !

Bibliographie : Colette BEC :  La Sécurité sociale, une institution de la démocratie    (Gallimard 2014)