Conférence débat du 27 avril 2016
Esclavage hier, conséquences aujourd’hui
Invité : Louis-Georges TIN, président du CRAN
Marianne Nouveau rappelle que cette soirée se situe dans le cadre des manifestations organisées par la Communauté Urbaine et par la ville de Dunkerque à l’occasion de la journée nationale pour la commémoration de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Elle donne la parole à William Maufroy, conservateur en chef des archives de la communauté urbaine, qui donne le détail des manifestations.
Présentation de notre invité :
Louis-Georges TIN est le président du conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, il est agrégé et docteur ès Lettres. Maître de conférence à l’université d’Orléans, il enseigne également à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Marianne Nouveau introduit le débat en citant le premier article de la loi Taubira du 21 mai 2001 qui dispose dans son article premier : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’autre part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. »
Le débat de ce soir doit nous permettre de réfléchir sur l’histoire de l’esclavage et sur ses conséquences. Sans entrer dans une logique de culpabilisation, nous devons approcher les vérités de cette longue période pour mieux comprendre notre temps.
Louis-Georges TIN, synthèse de l’exposé :
Si l’esclavage d’hier était sans conséquences aujourd’hui, notre débat de ce soir n’aurait aucun intérêt. Le 10 mai est une journée de commémoration : commémorer c’est bien, mais réparer, c’est mieux. Pour comprendre, il nous faut revenir sur les dégâts causés par l’esclavage.
Les conséquences sont de plusieurs ordres :
- Conséquences démographiques :
Le discours « officiel » dénombre entre 12 et 17 millions d’esclaves déportés. Mais quand on sait que pour avoir un esclave vivant, les négriers disaient qu’il fallait tuer entre 2 et 4 personnes, le nombre de victimes de l’esclavage augmente sensiblement. Quand on prend en compte les enfants de ces esclaves déportés, le nombre augmente encore. Il faut donc multiplier par x le nombre officiel : le bilan démographique reste à faire.
- Conséquences politiques :
Avant le 16ème siècle, l’image de l’Afrique est mystérieuse et fabuleuse : il y a beaucoup de richesses, on rêve de ce pays. Avec les grandes découvertes, on se met à convoiter ces richesses. Des razzias seront organisées. L’Europe de l’Ouest s’enrichira au détriment des pays du Sud ; des entreprises multinationales, des banques feront leur fortune sur l’exploitation de ces richesses.
- Conséquences culturelles :
Les cultures africaines étaient riches, Edouard Glissant nous le rappelle. L’esclavagisme entraînera l’interdiction de l’expression culturelle : danses, religions… La vie culturelle africaine se faufilera dans les interstices pour survivre cachée. Une véritable « colonie de peuplement » sera la source de violences multiples, les esclaves se rebellant, les autres se protégeant par peur d’une prétendue invasion.
- Conséquences écologiques :
Le Sud de notre planète a subi la colonisation, l’exploitation de ses richesses naturelles. L’Occident pollueur doit tenir compte de ces périodes : comment rendre une « justice climatique » aux pays dont on a épuisé les ressources tout en polluant la planète et qui maintenant devraient subir sans aide les conséquences du changement climatique ?
Les conséquences de l’histoire sont donc nombreuses et complexes. Il faut à présent mesurer l’ampleur des dégâts pour définir les modalités de réparation. Commémorer ne suffit pas : il faut assumer un devoir de réparation. Certes, les générations d’aujourd’hui ne sont pas responsables, mais elles disposent d’un bénéfice de fait. Nous avons souvent entre nos mains des biens mal acquis. Revenir sur cette histoire est une question de justice, et il n’y pas de justice sans réparation.
Comment « réparer » ?
Il y a mille et une façons.
Il faut distinguer la réparation financière et la réparation morale, la réparation individuelle et la réparation collective.
Les pays occidentaux ont réagi différemment face aux demandes de réparation qui sont multiples : aide au retour sur la terre d’origine des ancêtres, demande de don de terre agricole disponible, demande de retraite, demande de bourses d’études, demande de mémorial (la France a enfin réalisé un mémorial sur l’esclavage mais pas en métropole : il est en Guadeloupe).
Reste non résolue la question d’Haïti :
Lorsque l’esclavage a été aboli, les anciens maîtres ont exigé d’être dédommagés pour la perte de la force de travail qu’ils avaient comptabilisée dans leurs écritures comme la valeur de leur « cheptel ». Sous la monarchie de Charles X, 1825, le France réclama à la république d’Haïti une indemnisation de 150 millions de francs or (environ 21 milliards de dollars actuels). Haïti a payé jusqu’en 1946. Comment accepter qu’un pays ait dû payer une « rançon » pour être libre ?